Facile, ma chambre de bonne, avec toutes les commodités, 7ème étage sans ascenseur et chiotte à la turque sur le palier, était dans l’un des meilleurs quartiers de Paris.
En moins d’une heure de candidature spontanée en porte à porte, soit le gérant avait un poste disponible, soit il m’envoyait vers son confrère qui cherchait du personnel en salle immédiatement.
Comme quoi, quand on s’appelle Thomas Di Mascio, petit-fils d’immigré Italien et espagnol, il suffisait de traverser la rue pour trouver un job.
Je comprends ce qu’exprime, Monsieur Emmanuel Macron président de la république, pourtant je vous invite à lire ce qui suit.
Aujourd’hui, j’habite dans le 9-3. En bas de chez moi, plusieurs commerçants dont une épicerie ouverte 7/7 jusqu’à 22h30.
Autant avoir une épicerie, c’est pratique quand des amis débarquent pour un apéro dinatoire imprévu, autant cela vous dérange quand une population de jeunes hommes “squattent” jusqu’à tard dans la soirée devant ce commerce.
Pendant sept ans, j’ai croisé un grand noir plutôt svelte, avec la panoplie parfaite de la Seine Saint-Denis. Comme diraient certains: “casquette, basket et rien dans la tête”.
Un mercredi, ma femme rentre chargée des courses avec deux sacs qui débordent, un pack de lait et les clefs de la voiture coincées dans la bouche.
Notre petit garçon âgé de deux ans sent l’opportunité de se soustraire à la vigilance de sa mère et se met à courir s’en se soucier des voitures.
Sa maman lâche son chargement et lui hurle de s’arrêter immédiatement. Content de lui, petit bonhomme accélère de plus belle.
Sa course est interrompue par monsieur casquette basket. Ce jeune homme lui dit d’un ton sec avec de gros yeux: “Et toi petit, tu vas écouter ta maman”.
Peur bleue du fuyard qui instantanément retourne sagement vers sa mère.
Ma femme me raconte sa peur et l’aide précieuse de ce squatteur courtois et souriant.
Décidé à le remercier, je profite de le croiser l’après-midi devant l’épicerie pour enfin engager la conversation avec lui.
En cinq minutes tous les stéréotypes tombent.
Il s’appelle Yamadou, il a 28 ans et depuis 7 ans, il travaille comme cuisinier avec Adecco. Il a commencé dans la restauration traditionnelle mais il préfère la restauration collective. Certes, il commence à 7h00 mais il finit à 15h00, ce qui lui permet de passer du temps avec ses amis du quartier.
Depuis 7 ans, il cherche à obtenir un CDI. Il a pour projet d’accéder à la propriété. Pour cela, il lui faut le sésame: le CDI. Pour le moment, on lui fait des promesses au CDI, dès qu’il aura fait ses preuves pendant son CDD ou son intérim.
Paroles et paroles et paroles et paroles
Paroles et encore des paroles que tu sèmes au vent.”Dalida
Décidé à répondre au principe de réciprocité, j’entreprends de l’aider dans sa recherche de CDI.
Avant de me lancer, je lui demande de venir avec un CV afin de lui présenter Eric mon voisin, qui travaille lui aussi dans la restauration collective.
Nous buvons un verre, Eric en profite pour lui poser des questions ce qui tourne vite en “un entretien d’embauche” informel:
Yamadou avec son survêtement, ses baskets blanches, sa casquette (et oui, même chez moi il n’enlève pas sa casquette) et sa grosse voix de gars des cités:
De toute façon, la cuisine ça se fait avec le cœur.
A ce moment, je vois des étincelles de plaisir dans les yeux d’Eric.
De toute façon, en cuisine t’en apprends tous les jours.
Avec ses mots simples, Yamadou a résumé ce que l’on cherche tous: faire notre métier avec le cœur et apprendre tous les jours.
Eric est ravi de cette rencontre et promet de présenter le CV de Yamadou à son chef.
C’est parti.
Première étape, travailler le CV de Monsieur Yamadou Doucara. On refait la présentation, plus de chiffres, plus de personnes à contacter, plus de preuves.
Deuxième étape, le dépôt de sa candidature sur l’espace internet d’Elior, Avenance, Kompass, Sodexo est un calvaire. Je vais de bug en message d’erreur. A croire, que c’est fait exprès.
Dans la foulée, j’envoie le CV à des contacts.
Une fois tous les 15 jours, nous faisons un point sur nos démarches respectives.
De mon côté, à part quelques contacts qui me remercient et gardent le CV précieusement, aucun des grands groupes de la restauration n’a donné de retour.
Ah pardon, j’ai reçu deux messages automatiques pour nous dire que le CV allait être étudié et que si nous n’avons pas de retour de leur part sous un mois, il faudrait considérer la candidature comme non acceptée.
Les semaines et les mois passent: rien.
De son côté, Yamadou vient de signer un énième CDD. L’employeur content de son travail lui promet un CDI. Après le renouvellement de ce CDD, enfin la société lui fait un CDI. Je saute de joie pour lui et le félicite.
Pourtant, Yamadou me dit qu’il faut continuer à chercher car il ne la sent pas cette boîte.
A deux jours de sa fin de période d’essai, il est convoqué par la directrice du centre de gestion qui lui informe qu’il n’aura pas de CDI.
Bande de…
Monsieur Yamadou Doucara ne s’apitoie jamais sur son sort. Il retourne en intérim et trouve de suite une mission. Il est connu et reconnu chez Adecco, qui est trop content de récupérer un bon élément.
De mission en CDD, Yamadou croise enfin la bonne personne. C’est un chef de cuisine centrale qui le prend sous son aile et lui obtient enfin un vrai CDI.
Entre temps, son ancien ex-employeur malhonnête n’hésite pas à reprendre contact avec lui pour lui proposer une mission d’intérim avec promis juré un CDI à la clef.
Mais quelle bande de …
Aujourd’hui, Yamadou n’a pas investi dans l’immobilier en France. La marche d’un primo-accédant sur la région parisienne est trop élevée pour ses revenus. Pas grave, il investit dans l’immobilier au Mali dans sa ville natale. Ce n’est pas énorme, mais il est lancé et compte bien un jour investir dans sa résidence principale en France. Car oui, ses amis et sa vie sont en Seine Saint Denis.
Quand je croise Yamadou, je l’appelle Monsieur le Maire, car autant je pensais connaître beaucoup du monde dans mon quartier autant Monsieur Yamadou Doucara connaît chaque personne que l’on croise. Qu’ils soient vieux ou jeunes, il prend des nouvelles de tous et pense toujours à passer le bonjour aux parents ou aux enfants.
Une dernière chose que m’a apprise Monsieur Yamadou Doucara. Quand nous avons une discussion sur le travail, la politique ou les relations humaines, il a toujours cette phrase avant un long silence:
“Ah, c’est complexe.”
Très heureux de vous connaître Monsieur Yamadou Doucara et peut-être que c’est vous le futur Maire de ma ville.